MOzambique LNG
Une méga-bombe carbone au Mozambique
TotalEnergies cherche actuellement à relancer Mozambique LNG, une gigantesque bombe carbone qui contribuera à produire entre 3,3 et 4,5 milliards de tonnes d’équivalent CO2 au cours de son cycle de vie. Cela représente plus que les émissions annuelles de gaz à effet de serre de l’ensemble des 27 pays de l’Union européenne.
Le projet est suspendu depuis avril 2021 suite à la multiplication d’attaques de groupes insurgés dans la région de Cabo Delgado, où il est censé être développé. TotalEnergies souhaite relancer ses opérations malgré la persistance du conflit dans la zone et les risques pour la sécurité et les droits humains des populations locales.
En 2020, 31 institutions financières – parmi lesquelles Société Générale, Crédit Agricole, Mizuho Bank, Standard Chartered ou l’Export-Import Bank des Etats Unis – ont signé des accords de prêt au projet d’un montant de 15,4 milliards de dollars. Nombre d’entre elles ont pourtant pris des engagements visant à limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C, ce qui est incompatible avec le financement de bombes carbone de ce type.
En 2020, 31 institutions financières ont signé des accords de prêt au projet d’un montant de 15,4 milliards de dollars.
Le projet Mozambique LNG
Entre 2010 et 2013, d’immenses réserves de gaz sont découvertes au Mozambique par la société texane Anadarko et par le consortium Mozambique Rovuma Venture (MRV), composé d’Eni, d’ExxonMobil et du chinois CNPC. Près de 5 000 milliards de mètres cube sont découverts dans un petit nombre de champs gaziers en eaux profondes (2 000 mètres de profondeur), situés à cheval sur les blocs d’exploration 1 et 4 du bassin de Rovuma, dans l’océan Indien.
Cela correspond aux neuvièmes plus grandes réserves de gaz du monde. A titre de comparaison, le pays possède l’équivalent de la moitié des réserves gazières des Etats-Unis, premier producteur mondial de gaz.
Le bloc 1, constitué des champs offshore Golfinho et Atum et représentant au moins 60% des réserves connues du bassin, fait partie du projet Mozambique LNG. Si le projet était relancé, le gaz extrait en eau profonde serait acheminé à terre par gazoduc sous-marin et ensuite transformé en gaz naturel liquéfié (GNL) sur le site d’Afungi.
Dans cet immense parc industriel de 18 000 hectares, (près de deux fois la taille de Paris), le gaz serait transformé dans deux trains de liquéfaction, d’une capacité totale de 13,1 millions de tonnes par an. TotalEnergies prévoit de développer à terme deux autres trains de liquéfaction pour augmenter la production. Le projet Mozambique LNG comprend enfin des infrastructures portuaires, qui seraient utilisées pour l’exportation du GNL.
Le projet Mozambique LNG est aujourd’hui opéré par TotalEnergies, qui l’a racheté à Anadarko en septembre 2019 et possède 26,5% des parts, aux côtés de l’entreprise publique mozambicaine Empresa Nacional de Hidrocarbonetos (15%), de l’entreprise japonaise Mitsui (20%), des entreprises indiennes ONGC Videsh (16%), BPCL (10%), Bharat Petroleum (10%) et Oil India (4%), et de l’entreprise thaïlandaise PTTEP (8.5%). Le projet, dont le coût est estimé entre 20 et 24 milliards de dollars en 2020, constitue le plus gros investissement privé jamais réalisé sur le continent africain.
Le projet Mozambique LNG serait le deuxième projet de gaz naturel liquéfié dans la zone, après le projet Coral South FLNG opéré par Eni dans le bloc 4. S’il voit le jour, le projet Mozambique LNG serait suivi dans le bloc 4 des projets Rovuma LNG (opéré par Eni et ExxonMobil) et Coral North FLNG (opéré par Eni), qui sont toujours en recherche de financements.
Un projet risqué pour le climat et les populations locales
Entre
3,3 et 4,5 milliards
de tonnes de gaz à effet de serre
Une gigantesque bombe carbone
L’évaluation des impacts environnementaux du projet de 2014 estime que les émissions de gaz à effet de serre du projet pourraient faire augmenter celles du Mozambique de 10 % par an. Lorsqu’il fonctionnera à pleine capacité, le projet produira ainsi environ 18 millions de tonnes de CO2 par an. Il faut également tenir compte de l’impact du méthane qui sera libéré. Si l’on prend en compte l’ensemble de ses émissions, le projet Mozambique LNG pourrait produire entre 3,3 et 4,5 milliards de tonnes d’équivalent CO2 au cours de son cycle de vie, soit plus que les émissions annuelles de gaz à effet de serre de l’ensemble des 27 pays de l’Union européenne.
Or le consensus scientifique, soutenu par le scénario Net Zero Emissions (NZE) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), recommande au contraire de ne pas exploiter les nouveaux gisements de gaz fossile pour maintenir le réchauffement planétaire en dessous de 1,5°C.
Un contexte très dangereux et une menace pour les populations locales
Le nord de la province du Cabo Delgado, où est situé le projet Mozambique LNG, est depuis des décennies une zone de conflit dans laquelle se développent des insurrections armées. Depuis 2017, les attaques de groupes d’insurgés, connus sous le nom de Ahlu Sunna Wa-Jama et que la population locale appelle « al-Shabab », se multiplient dans la région. Dans ce contexte particulièrement dangereux, les promoteurs du projet (Anadarko puis TotalEnergies) avaient la responsabilité d’évaluer et de réduire les risques de leurs opérations pour les populations locales. En savoir plus
Un projet inutile pour le Mozambique
90% de la production de Mozambique LNG est destinée à l’exportation, et ne répondrait donc pas à améliorer l’accès à l’énergie de la population du Mozambique. Par ailleurs, seule une partie des bénéfices, qui pourraient s’avérer moins élevés qu’annoncé, reviendra à la compagnie pétro-gazière nationale mozambicaine ENH. Mais celle-ci devra d’abord rembourser le prêt qu’elle a contracté pour participer au projet. En outre, TotalEnergies pourrait éviter de payer jusqu’à 1,45 milliards de dollars d’impôts, suite à la création d’une société “boîte aux lettres” aux Émirats Arabes Unis, un paradis fiscal bien connu.
Rien ne prouve non plus que les communautés profitent du projet en termes de création d’emplois. En effet, les emplois temporaires ou permanents ne correspondent pas aux formations et aux capacités des populations locales, et très peu d’emplois permanents devraient être maintenus au-delà de la phase de production.
Un contexte très dangereux et une menace pour les populations locales
Le nord de la province du Cabo Delgado, où est situé le projet Mozambique LNG, est depuis des décennies une zone de conflit dans laquelle se développent des insurrections armées. Depuis 2017, les attaques de groupes d’insurgés connus sous le nom de Ahlu Sunna Wa-Jama, et que la population locale appelle « al-Shabab », se multiplient dans la région.
Dans ce contexte particulièrement dangereux, les promoteurs du projet (Anadarko puis TotalEnergies) avaient la responsabilité d’évaluer et de réduire les risques de leurs opérations pour les populations locales.
Pourtant, leur approche semble avoir sous-estimé les risques humanitaires et sécuritaires ainsi que la complexité des opérations dans une telle zone de conflit. De nombreuses failles et insuffisances ont été identifiées dans leur approche,12 qui auraient notamment eu des conséquences directes et fatales lors de l’attaque du 21 mars 2021, durant laquelle 1193 personnes seraient mortes ou disparues.13 Une plainte a été déposée en octobre 2023 visant TotalEnergies pour « non-assistance à personne en danger » et « homicide involontaire » lors de cette attaque. Selon cette plainte, l’entreprise aurait manqué à son devoir de protection des sous-traitants et des personnes en danger immédiat de mort.14
Suite à ces attaques, TotalEnergies a suspendu les activités du projet Mozambique LNG en avril 2021 pour cause de force majeure. Pour les populations qui ont été déplacées, cela a entrainé une interruption pendant plusieurs années des paiements des compensations, alors qu’elles ont perdu leurs moyens de subsistance et que beaucoup ont dû fuir vers des camps de déplacés.15
Aujourd’hui, TotalEnergies souhaite redémarrer les opérations du projet Mozambique LNG, et affirme que la situation sécuritaire est « sous contrôle » à Cabo Delgado. L’entreprise a commandé un rapport sur la situation socio-économique, humanitaire et des droits humains dans la région,16 et a repris le processus d’indemnisation.
Cependant, si la situation s’est effectivement améliorée, les attaques contre les populations restent fréquentes dans la région, et des massacres, enlèvements et déplacements de populations restent à déplorer chaque mois.17 La reprise de Mozambique LNG semble donc imprudente et irresponsable si elle implique de continuer à opérer dans un contexte aussi instable.
Enfin, le projet Mozambique LNG menace également les écosystèmes uniques et vulnérables dans lesquels il est situé, notamment le parc national des Quirimbas – une réserve de biosphère de l’UNESCO. Ces écosystèmes sont constitués de forêts de mangroves, de récifs coralliens et d’herbiers marins qui sont extrêmement importants pour la biodiversité. Le projet met en péril ces écosystèmes et des animaux menacés comme le rorqual boréal, les tortues luth et les tortues imbriquées.18
Un projet inutile pour la Papouasie-Nouvelle-Guinée
90% de la production de Mozambique LNG est destinée à l’exportation, et ne répondrait donc pas à améliorer l’accès à l’énergie de la population du Mozambique.19 Par ailleurs, seule une partie des bénéfices, qui pourraient s’avérer moins élevés qu’annoncé, reviendra à la compagnie pétro-gazière nationale mozambicaine ENH. Mais celle-ci devra d’abord rembourser le prêt qu’elle a contracté pour participer au projet.20 En outre, TotalEnergies pourrait éviter de payer jusqu’à 1.45 milliards de dollars d’impôts, suite à la créationd’une société “boîte aux lettres” aux Émirats Arabes Unis, un paradis fiscal bien connu. 21
Rien ne prouve non plus que les communautés profitent du projet en termes de création d’emplois. En effet, les emplois temporaires ou permanents ne correspondent pas aux formations et aux capacités des populations locales, et très peu d’emplois permanents devraient être maintenus au-delà de la phase de production.22
Le Mozambique subit déjà les impacts du dérèglement climatique et le projet Mozambique LNG ne fera qu’empirer les choses. Si les acteurs financiers veulent investir dans le développement et améliorer la vie des mozambicain-e-s, leur argent devrait financer l’éducation, le logement, les énergies soutenables, et des systèmes énergétiques justes pour les populations !
Anabela Lemos, Directrice de l’ONG mozambicaine Justiça Ambiental!
Un projet contesté
Depuis plusieurs années, l’organisation mozambicaine Justiça Ambiental! (JA-!) analyse et dénonce les risques des projets gaziers dans le nord du Mozambique en particulier en matière d’environnement et de droits humains. L’organisation travaille directement avec les communautés affectées par les projets gaziers, en les accompagnant dans leurs démarches légales et dans leurs échanges avec l’Etat du Mozambique et les entreprises.
Soutenue dans son combat par de nombreuses organisations du Mozambique, d’Afrique et du monde entier, l’organisation a récemment publié un appel urgent aux 31 institutions financières qui soutiennent le projet Mozambique LNG de TotalEnergies.
Il est temps de mettre fin au financement d’un extractivisme fossile destructif et colonial, et à la perpétuation de décennies de violations des droits humains et d’abus environnementaux dans les pays en première ligne de la crise climatique
Daniel Ribeiro, Représentant de l’ONG mozambicaine Justiça Ambiental!
LES PARTENAIRES FINANCIERS DU PROJET DOIVENT S’EN RETIRER
En tant que conseiller financier du projet, Société Générale a accompagné TotalEnergies dans le montage financier du projet et y a participé en accordant des prêts d’un montant cumulé de 500 millions de dollars à l’entreprise pour ce projet. Pourtant la banque a récemment reconnu la nécessité de mettre fin à l’expansion pétro-gazière en annonçant qu’elle ne financerait plus de nouveaux champs pétroliers et gaziers et les infrastructures qui y seraient associées (y compris les terminaux d’exportation de GNL), dans le but de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C. La banque devrait donc mettre en cohérence ses paroles et ses actes en retirant son soutien financier au projet de TotalEnergies.
Crédit Agricole est quant à elle particulièrement impliquée dans les projets de GNL dans la région de Cabo Delgado, puisqu’elle a accordé des prêts d’un montant cumulé de 300 millions de dollars pour le projet Mozambique LNG. Elle est également le conseiller financier du projet Rovuma LNG. Elle accompagne à ce titre Eni et ExxonMobil dans leurs recherches de financement pour développer ces projets.
Pourtant, la banque s’est engagée en 2024 à ne plus financer directement ce type de projet, puis a annoncé qu’elle ne plus participerait plus à des émissions d’obligations conventionnelles aux entreprises développant des projets d’extraction et de production de pétrole et de gaz. Dans la continuité de ces annonces qui visent à mettre fin à l’expansion pétro-gazière, Crédit Agricole devrait donc retirer son soutien financier au projet de TotalEnergies.
29 autres banques commerciales, agences de crédit à l’exportation et banques de développement ont participé au financement du projet Mozambique, pour un montant cumulé de 15,4 milliards de dollars. Alors que nombre d’entre elles se sont engagées à agir pour maintenir le réchauffement planétaire en dessous d’1,5°C, il est temps que ces acteurs financiers prennent leurs responsabilités et abandonnent ce type de projet.
Banques commerciales | Prêt |
---|---|
Banque | Mln$US |
ABSA Bank | 300 |
Crédit Agricole | 300 |
ICBC | 300 |
JP Morgan | 340 |
Mizuho Bank | 867,5 | MUFG Bank | 500 | Nedbank/NBSA | 150 | Nippon Life Insurance | 150 | Rand Merchant Bank/FirstRand | 100 | Shinsei Bank | 50 | Société Générale | 500 | Standard Bank | 485 | Standard Chartered Bank | 500 | Sumitomo Mitsui Banking Corporation | 570 | Sumitomo Mitsui Trust Holdings | 200 |
Agences de crédit à l'exportation | Prêt |
---|---|
Agence | Mln$US |
African Export Import Bank | 120 |
Export-Import Bank of Korea (KEXIM) | 500 |
Export Import Bank of the United States (US EXIM) | 4 700 |
Export-Import Bank of Thailand (Thai Exim) | 150 |
Japan Bank for International Cooperation (JBIC) | 3 000 |
UK Export Finance (UKEF) | 300 |
Agences de crédit à l'exportation | Couverture de dettes |
---|---|
Agence | Mln$US |
Atradius | 1 177 |
Export Crédit Insurance Corporation of South Africa (ECIC) | 800 |
Nippon Export and Investment Insurance (NEXI) | 2 000 |
Servizi Assicurativi del Commercio Estero (SACE) | 950 |
UK Export Finance (UKEF) | 700 |
Banques de développement | Prêt |
---|---|
Banque | Mln$US |
African Development Bank (AfDB) | 400 |
Cassa Depositi e Prestiti | 650 |
Development Bank of Southern Africa | 120 |
Industrial Development Corporation of South Africa | 150 |
Banque de développement | Couverture de dettes |
---|---|
Banque | Mln$US |
Korea Development Bank | 15 |
Banques de développement | Assurance |
---|---|
Banque | Mln$US |
US International Development Finance Corp (DFC) | 1 500 |
Sources : IJGlobal ; Justiça Ambiental et al., Fuelling the crisis in Mozambique, 2022 ; Solutions For Our Climate, Total Turmoil, 2024
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